Le Camp du Maréchal était un village colonial de basse Kabylie, situé à 83 Km à lest dAlger. Devenu Tadmaït en 1963, juste après lindépendance de lAlgérie, il reste peu connu malgré son passé colonial et révolutionnaire. Voici une modeste présentation, en espérant quil inspirera de la sympathie. Pour ce faire, un voyage dans le temps est nécessaire.
Nous sommes en 1830, le 14 juin les troupes françaises arrivent par la côte ouest d’Alger. Les Turcs, présents en Algérie depuis un peu plus de trois siècles, tentent de monter une armée auxiliaire, pour renforcer la force déjà existante et empêcher le débarquement. Hussein Dey fait appel entre autres, aux kabyles pour combattre. Pas moins de 18000 hommes quittent la Kabylie, en direction d’Alger. Ils se joignent aux trente mille venus du Constantinois, de l’Oranie et du Titteri. Les Français arrivent à débarquer à Sidi Fredj. Les combats font rage, Hussein Dey capitule le 5 juillet, c’est le début de la très longue nuit coloniale. Le coup d’éventail, prétexte à l’invasion, est vengé et le blé ne sera pas payé. Pour la population du Douar Sidi-Ali Bounab ( Montagne de 800m d’altitude qui surplombe la plaine de Tadmaït), à 80 kilomètres d’Alger, la vie suit paisiblement son cours. Vivant d’agriculture : figuier, olivier, petits jardinages, blé ( obtenu en troquant de l’huile d’olive), fruits et plantes sauvages comestibles ; de petits élevages (poules, chèvres, brebis et moutons) et se déplaçant à dos d’âne ou de jument pour les plus aisés. Cette population autochtone est loin de se douter, que leurs vies d’hommes libres vont basculer.
Une dizaine d’années plus tard, le Maréchal Bugeaud décide de conquérir la Kabylie. Il occupe Bordj-Ménaïl, 66 Km à l’est d’Alger. Il y trouve une résistance kabyle des Iflissen mais prend le dessus. De là il bifurque vers le nord, pour aller occuper Dellys et son port qui allait lui être fort utile pour la suite. Au retour de Dellys, en remontant l’oued Sébaou, les Ath Ouarzedine l’attendent près du Bordj Sébaou, pour l’empêcher d’aller plus loin. Après des heures de combats, les Kabyles sont vaincus et se replient et se réfugient à la montagne. Bugeaud continue son avancée, il débouche sur la magnifique plaine de Tadmaït qui l’enchante. Il y établit un grand camp, en vue de préparer l’occupation du reste de la Kabylie. A l’ouest du camp au lieu dit Laaziv ( 6km environ ) un centre de transit pour colons, est fondé par la société de protection des Alsaciens-Lorrains, présidé par le comte d’Haussonvillers. Le général Randon qui prend la relève, est séduit par Tadmaït, fertile et bien irriguée. C’est l’endroit idéal pour un village. Très vite il met en place les conditions pour que ce village voit le jour: en 1871 Le Camp du Maréchal naît. Profitant de l’expérience, c’est de tous les villages alsaciens le mieux réussi. On y installe les colons du centre de transit d’Haussonvillers, auxquels il est attribué des concessions pour exploiter les terres. Il est tout de suite dotée de toutes les infrastructures de base : Mairie, poste, école, église grâce à la main d’œuvre indigène. Le village n’est conçu que pour les besoins des colons, et de l’administration coloniale. Les autochtones viennent au village juste pour travailler, le soir ils rentrent chez eux au mont. Les terres fertiles arrosées par le Sébaou, sont exploitées au même titre que les ouvriers qui y travaillent, du lever au coucher du soleil. Ils rentrent chez eux exténués, la nuit tombée. C’est pourquoi les colons demandent qu’ils soient regroupés prés du village, pour une meilleure rentabilité. C’est ainsi que Tazmalt est né, un ensemble d’habitations de fortune à 100 m sur les hauteurs du village. D’autres infrastructures sont mises en place vers les années vingt, telles que le collège et le dispensaire que gèrent les sœurs blanches, des voies ferrées reliant le village à Alger et Dellys pour l’expédition de la production vers la capitale et la France. Le Camp du Maréchal devient vite un carrefour important. Il est connu surtout pour ses vignobles et ses deux caves de vinification, ses orangeraies et son tabac.
A la fin des années trente, quelques familles autochtones s’installent au village parmi les colons, des familles commerçantes surtout. Les conditions de vie de la population indigène, les humiliations qu’elle subit vont progressivement l’amener à vouloir se révolter.
Nous sommes en 1954, la guerre éclate. Plusieurs attentats ciblant des colons et des soldats sont perpétrés dès 1955. Des hommes rejoignent le maquis de Sidi Ali Bounab. L’un des événements majeurs du début de la guerre, est l’attentat perpétré la veille du premier novembre contre un énorme dépôt de liège. Deux ans après on récidive avec le dépôt de tabac. C’est un véritable brasier et feu d’artifice. Pris de panique, ne comprenant pas ce qui se passe, les habitants de Tazmalt fuient pour se réfugier dans leurs anciennes maisons au mont. Pour faire face à la nouvelle situation, des renforts militaires sont acheminés vers le village. Une caserne est bâtie 500m à l’ouest du village, un camp militaire sur le mont de Sidi Ali Bounab et un autre d’internement à moins de 10 km, à Tléta. Pour faciliter l’accès aux maquis et traquer les moudjahidine, des routes sont ouvertes vers le même mont. A partir de 18 heures le village est interdit aux indigènes. Tout près de la gare est improvisée un bidonville, pour regrouper d’autres indigènes afin de mieux les encadrer, les surveiller. Les conditions de vie y sont tout simplement inhumaines. Une cité composée de maisons en dur de deux à trois pièces, est construite à l’entrée du village pour accueillir les harkis. Le Douar Sidi Ali Bounab ne connaîtra de répit qu’en 1962. Il perd entre temps plus de 1000 de ses enfants.
1963, Le Camp du Maréchal prend le nom de Tadmaït, qui signifie la paume de la main, référence à son relief. Une année après, la caserne dite « El alig » est transformée en centre de formation professionnel. C’est à partir du début des années 70 que le village connaît des changements notables. Tout un quartier de maisons coloniales est rasé, pour laisser place à un ensemble d’immeubles qu’on aurait pu bâtir ailleurs. Les sœurs blanches qui géraient le collège « Les pacaniers » et un dispensaire sont priées de partir. Le collège est gardé tel quel, et le dispensaire transformé en maternité.
A la même période commence la destruction de l’église, qui durera plusieurs années, pour bâtir à la place une mosquée. Les jeunes protestent car ils veulent conserver l’édifice pour l’histoire, tout en y créant des activités pour jeunes. La mairie et l’ex école Lambert ne résistent pas au séisme de 2003. L’une des deux caves devient un dépôt pour détergeant et peinture, l’autre cède sa place à un ensemble d’immeubles, trop hauts pour être en harmonie avec le reste du village. Le jardin public continue à accueillir parents et enfants. La rivière du Sébaou ne déborde plus depuis longtemps, son lit est descendu d’au moins 3 mètres à cause de l’extraction effrénée de son sable. L’eau n’y coule plus que deux mois sur douze quand l’hiver est pluvieux. La gare est toujours là, mais le train ne siffle plus. La voie a plusieurs fois été la cible d’islamistes durant les années 90. Celle reliant Tadmaït à Dellys a été supprimée dès 1962. L’immeuble qui abritait la gendarmerie française, remplacée par l’Algérienne à l’indépendance, est soufflé par un attentat à la voiture piégée, au milieu des années 90. A l’entrée du village le visiteur est accueilli par le cimetière des martyres, témoin du passé révolutionnaire de cette contrée.
Aujourd’hui la ville de Tadmaït compte plus de 23 400 habitants, répartis sur une surface d’environ 72 km carrés. La commune de Tadmaït est essentiellement dominée par le massif de Sidi Ali Bounab ( au sud). L’autre partie est constituée par la plaine qui longe l’oued Sébaou. L’ex Camp du Maréchal se trouve au carrefour de la RN 12 (Alger-Béjaïa par Tizi Ouzou) et de la RN 25 (menant à Dellys). Avec les découpages administratifs successifs, la commune se retrouve à l’extrême ouest de la willaya de Tizi Ouzou, distante de 17 km du chef-lieu. Elle est entourée par Sidi Namane au nord, Draa Ben Khedda et Tirmitine à l’est, Oued Ksari au sud et Naciria (Boumerdes) à l’ouest. La ville de Tadmaït garde sa renommée d’être une ville propre, aux larges rues et trottoirs, notamment après la résorption de l’habitat précaire, comme « le bidonville derrière la poste ». Tadmaït est connu aussi pour son léopard tué en 1926 par Abidat. Le dernier léopard d’Afrique du Nord était exposé à la mairie depuis, avant que les autorités zélées de la wilaya ne fassent un véritable hold-up à 2 heures du matin, pour l’offrir à Bouteflika, lors de sa visite en Kabylie en 2005.
Par son passé colonial, l’ex Camp du Marchal a gardé sa vocation agricole, même si l’oued Sébaou ne coule plus à flots. Son domaine autogéré avait une renommée nationale, car la majorité des ouvriers travaillaient déjà pour les colons avant 1962, et ont donc hérité de leurs méthodes de travail et de leur amour pour la terre. La décision du ministère de l’agriculture de dissoudre ce type d’organisation à l’échelle nationale, a porté un coup dur à la production agricole de la commune. Enfin, la seule industrie digne d’être citée est celle implantée par la Sempac, pour la fabrication de farine près de la gare ferroviaire.
Malgré son passé révolutionnaire la commune de Tadmaït reste la mal-aimée des autorités de la wilaya. Elle a longtemps souffert d’ostracisme. Que de projets qui lui étaient destinée n’ont pas été détournés ? Peut-être est-ce ce passé justement qui dérange ?