« Chants magnifiques montés du fond des âges, et qui nous atteignent en plein cœur », disait Aimé Césaire.
En Kabylie et Berbérie en général, tous les gestes de la vie, toutes les cérémonies étaient soutenus par le chant ( Achewik). Achewik est un chant, de la musique, une mélodie incantatoires, sacré, transmis oralement depuis des siècles et de génération en génération, en gardant intacts ses caractères essentiels. Il est intimement lié aux actes du quotidien, aux rituels, à la vie de tous les jours. Il est essentiellement l’apanage des femmes kabyles, pour célébrer la vie quotidienne en terre kabyle, si hostile. Il est sacré car il concerne plusieurs rituels, c’est un véritable hymne à la vie, à l’espoir, à la rage de vivre. C’est aussi un cri de femmes, gardiennes des traditions en terre kabyle. Il est à l’image des chants celtes, irlandais, corses. Achewiq c’était aussi un vivifiant. Les femmes notamment y puisaient la force, pour continuer à vivre, à survivre. Il permettait de retrouver la sérénité, de garder espoir. L’achewiq est aussi une complainte chantée: la souffrance des femmes, leur courage, leurs espoirs.
Achewiq accompagnait les rituels. La mariée qu’on conduisait le 7ème jour (comme le voulait la tradition) à la fontaine, était accompagnée de youyou, et de ces chants (tivoraines) rythmés par un avandayar (tambourin). Sur le parcours elle jetait des fèves, symbole d’abondance et de fertilité. Au retour elle donnait à boire à toute personne qu’elle croisait. Tout en permettant de présenter la mariée aux habitants du village, les chants étaient des louanges aux deux familles qui venaient de s’unir.
Il y avait aussi les chants des travaux (« chant des gauleurs d’olives »…), pour alléger la souffrance face à la dureté des tâches. Il y avait les chants des fêtes et noces, plus rythmées et accompagnés d’une percussion (« Appel à la joie »). Il y avait les chants religieux, louanges à Dieu, lors des fêtes à caractères religieux (« Allah le Dispensateur »), ceux de la mort (« Voici le jour où l’on creuse ma tombe ») pour accompagner le défunt, lui dire adieu. Il y avait aussi les berceuses comme « Tsuha » reprise par Malika Domrane et Sofiane. Il y avait les chants d’amour (« Ma mère le fleuve m’a emportée » reprise par Ferhat). Il y avait encore les méditations (« J’ai dit ma peine »), et les chants satiriques (« Les belles-mères »)… Les bergers tuaient l’ennui en chantant des achewiq en s’accompagnant d’un ajouaq (flûte en roseau).
L’achewiq a permis de transmettre un legs de nos racines ancestrales. Il était dédié aux femmes qui prenaient la relève, pour accomplir cette noble mission. Il a joué un rôle déterminant dans la transmission de notre patrimoine immatériel, la préservation de notre identité. La Kabylie a gardé ses valeurs et sa langue, malgré toutes les invasions et occupations étrangères, grâce en partie à ces chants. Surtout qu’ils étaient indissociables de la poésie ( Issefra), achewiq c’est de la poésie chantée. Les poèmes kabyles étaient composés pour être chantés, et sefru signifie séparer le bon grain de l’ivraie (dire ce qui est bien et ce qui ne l’est pas). Telle était la poésie kabyle, et donc l’achewiq.
Nul ne peut rester insensible en écoutant ces chants kabyles, même ceux qui ne comprennent rien à la langue. Ils enchantent, envoûtent, captivent tous ceux qui les écoutent. Ils élèvent carrément hors du temps. Les femmes y mettaient tellement d’amour et de sensualité. Ils vous font couler des larmes, tout comme ils illuminent de joie votre visage. Rendons hommage à Jean et Taos Amrouche qui ont sauvé de l’oubli une bonne partie d’entre eux : « Chants berbères de Kabylie », « Chants Berbères de la meule et du berceau », « Chants de procession, méditations et danses sacrées berbères ». Grâce à eux nous pouvons encore les écouter aujourd’hui. « Miracle d’amour que ces chants sauvés de l’oubli par l’ardente piété de Jean et Taos Amrouche, et qui ne sont pas seulement un hommage à la terre et à l’âme berbères… » disait Philippe Maillard.
Un hommage aussi à Azal Belkadi, ce Pavarotti kabyle qui est en train de faire un travail remarquable. Il hisse l’achewiq encore plus haut en le perfectionnant, tout en restant fidèle à Taos Amrouche. C’est tout simplement sublime de l’écouter, c’est à donner la chair de poules, quand ce ne sont pas des larmes. Un clin d’œil aussi à Idir qui s’est inspiré de ces chants. On citera « Vava inuva », « Essendu » et l’album « les chasseurs de lumière ».
Par mus