Il était un temps où l’absence de pluie était bien plus dramatique. Les occupants des hameaux de la montagne de Sidi Ali Bounab, vivaient exclusivement d’agriculture et d’élevage. Dès que la pluie tardait à venir, c’était la panique. Les sources risquaient de se tarir et les récoltes compromises. Il n’y avait ni barrages ni retenues collinaires. La vie dans ses hameaux perchés, était rythmée et n’était possible que par la pluie.
A Ihidoussen, et peut être dans d’autres contrées de Kabylie, il existait un rituel pour faire tomber la pluie. Combien de fois n’ai je pas entendu grand mère, quand la pluie tardait à se manifester, dire qu’il faudrait faire comme dans le temps, invoquer, implorer Anzar.
C’était tout un rituel. Selon la légende, une jeune fille se baignait nue dans l’oued Sébaou, quand l’Aguelid (Le Roi) de la pluie lui apparut. Il lui demanda de l’épouser, mais elle refusa. D’un geste il tarit la rivière et disparut. Comme elle le suppliait de remettre l’eau, il réapparut. Cette fois elle accepta, et l’oued s’emplit de nouveau comme par enchantement. Pendant longtemps, à chaque fois que le ciel refusait d’arroser la terre d’Ihidoussen, on offrait à Anzar une nouvelle épouse, croyant qu’il s’était fâché pour ça.
Les femmes se réunissaient pour choisir la plus belle fille du hameau, pour en faire une « thislit bu Anzar » (la mariée d’Anzar). Après une toilette exceptionnelle, paré des plus beaux bijoux du hameau, elle prenait la tête d’un cortège de filles. Elles tenaient toutes des louches dans la main. Celle de « thislit » était parée et avait l’aspect d’une poupée. La procession partait faire le tour du hameau, en chantant des invocations à Anzar. Avec les louches, les autres filles faisaient un vacarme assourdissant, comme pour que l’« aguelid » entende et se manifeste.
Devant chaque maison, on remettait à la mariée du couscous, de la viande, des légumes et autres nourritures. Une fois la tournée achevée, la procession s’immobilisait devant « tramât » (le siège du comité des sages), qui était au centre du hameau. « Thislit » tenait la louche tendu devant elle, comme pour attendre qu’elle se remplisse d’eau et chante, « Ô notre Aguelid, ô gens de l’eau, donnez de l’eau à ce qui ont en besoin…. », sous le regard des autres.
Pour finir, elle confesse « Moi et la terre sommes tes coépouses ». Ce qui signifiait qu’elle acceptait de ce joindre à la terre, qui était considérée déjà comme l’épouse éternelle. Par ces paroles, la mariée se soumettait et consentait de s’unir à Anzar.
A l’heure du déjeuner, tout le hameau était convié à un couscous géant, préparé avec ce qui a été offert à « thislith ». De son côté le grand « Aguelid Anzar» pour certains, « Dieu Anzar » pour d’autres, en guise de reconnaissance et de récompense, ne tardait pas à abreuver abondamment la terre kabyle.