Pour le commun des mortels, ce sommet du Djurdjura est un simple rocher. Et pourtant il est le plus connu, le plus visité, le plus cité car il est entouré de mystères, c’est un lieu mythique. Culminant à 1883 mètres d’altitude, il draine chaque année des milliers de pèlerins.
Azru n’Thor signifie le rocher du midi, du zénith auquel on a attribué une connotation religieuse car « thor » correspond au moment de l’accomplissement de la 2ème prière du jour chez les musulmans. Le pèlerinage en ce lieu est appelé Asensu n’Azru n’Thor (Veillée du Rocher du Zénith), car dans le temps, il se déroulait la nuit.
Pour atteindre ce rocher le chemin est long, rude et harassant. Il faut pour cela être animé d’une foi inébranlable pour ce lieu. Il se trouve à proximité du Parc National du Djurdjura, pas loin du col de Tirourda, côté d’Aïn El Hammam. Pour rejoindre le sommet, le pèlerin doit d’abord parcourir plus de 65 km en partance de Tizi Ouzou pour le Col de Tirourda, en passant par Larba Nath Irathène, Michelet, Iferhounène et d’autres villages. De Tirourda le plus dur reste à faire pour rejoindre Azru. Il faut emprunter une piste poussiéreuse, rocailleuse, étroite et escarpée sur 15km. L’état de la route n’a jamais découragé les visiteurs, car au bout en plus du pèlerinage en ce lieu, le privilège de découvrir, d’avoir une vue sur toute la Kabylie, Bouira au sud, Béjaïa à l’est et Tizi Ouzou au nord. Une vue unique imprenable.
Arrivé tout en bas d’Azru, l’ascension doit se faire à pieds. Beaucoup de pèlerins qui tentent d’atteindre le sommet n’arrivent pas à destination, ils sont obligés d’arrêter et d’attendre le retour des autres. Pour cet exercice, des personnes âgées de plus de 80 ans, continuent de réaliser la prouesse d’atteindre le sommet et d’accomplir pour une énième fois ce culte.
Pourquoi cet engouement, cet attachement mythique à ce lieu, en haut duquel des milliers de pèlerins déferlent chaque été. Personne ne peut vraiment répondre avec certitude. Pour certains, le mausolée tout en haut du rocher renfermerait la dépouille d’un saint. Il aurait vécu en ermite il y a des siècles (puisque le pèlerinage est ancien) et on allait recueillir auprès de lui conseils sans jamais connaître son nom. La personne était alors adulée, car elle était de bon conseil. D’autres parlent de plusieurs saints qui se retrouvaient régulièrement à cet endroit, pour bénir cette terre et ses habitants. D’autres encore ne croient pas à cette histoire de saints. Pour eux l’endroit lui-même est mythique, pour eux le rocher ne fait pas référence à un saint sinon il porterait son nom. C’est plutôt le rocher à qui on attribue un caractère de sainteté. C’est pourquoi certains associe l’événement à une croyance païenne. De prime abord inaccessible, dès qu’on y est on se sent tout proche du ciel. Les sensations très fortes que le lieu procure par sa puissances, redonne espoir et courage et l’on se met spontanément à faire des vœux qui selon la tradition orale ont toujours été exaucés. Du coup, une bonne partie des pèlerins s’y rendent pour faire accomplir un vœu. La jeune fille lasse de ne pas trouver mari, la mariée qui n’arrive pas à enfanter, la maman qui attend le retour du fils prodigue parti depuis des années, la maman dont le fils résiste à prendre femme, le malade que la médecine n’arrive pas à guérir etc. Et selon les pèlerins les vœux sont toujours exaucés.
Au-delà de son caractère sacré, mythique asensu n’Azru n’Thor a indéniablement une fonction sociale. C’est l’occasion de retrouvailles annuelles des enfants de la région dont la majorité, exode rural oblige, est partie vivre ailleurs et même à l’étranger. La solidarité sociale est alors ravivée, réconfortée à l’occasion de cette rencontre. Les dons en nature permettent aux villages voisins, oubliés par l’Etat, de réaliser les projets d’utilité publique. Ce qui fait dire que ces villages sont de véritables mini-républiques autonomes et un véritable exemple de démocratie. Pour contenir la marée humaine (plus de 15 000 pèlerins par an), asensu s’étale sur les 3 premiers vendredi du mois d’août. Les 3 villages que sont Zouvda, Ath Atsu et Ath Adelli se relaient, pour l’organisation du pèlerinage chacun sa journée. La préparation commence des mois avant, pour offrir aux visiteurs le meilleur accueil qui soit. A cet effet des centaines de personnes sont mobilisées par les associations des villages pour assurer l’alimentation, la sécurité et le guidage des pèlerins. Des dizaines de moutons, des bœufs sont égorgés, des quintaux de couscous sont roulés, autant de légumes pour agrémenter le plat traditionnel.
Le jour J, les pèlerins sont accueillis royalement, d’où qu’ils viennent. L’ascension commence avec des chants : « Ô Azru n’Thor, lion des forêts ! Nous te rendons visite pour avoir ta bénédiction…» Femmes, hommes, enfants, vieux et vieilles suivent des chemins qui montent, montent vers le ciel. Les discussions vont bon train pour échanger les nouvelles d’ici et d’ailleurs. Façon aussi de se détourner de cette pénible et fatigante montée. Puis soudain, à mi-chemin plus près du rocher, aselgu, une source qui coule sans interruption. La fraîcheur de son eau contraste avec la chaleur du mois d’août. Comme si elle était là pour venir au secours des pèlerins, les rafraîchir, les désaltérer, leur redonner des forces pour aller jusqu’au bout. A l’issue de l’escalade des femmes se relaient dans le mausolée. Certaines entament des chants religieux, avant de prononcer leurs vœux. A l’extérieur les pèlerins sont tout simplement émerveillés par la beauté de l’endroit. Ils ont sous leurs pieds, devant les yeux, autour d’eux toute la Kabylie, comme ils ne la verront jamais de nul part. En ce lieu magique, la ferveur est de mise. On y retrouve un mélange de rite païen, de rite religieux et même de foire de montagne, car certains profitent de l’occasion pour vendre des produits du terroir notamment. Les faucons et les aigles qui peuplent ce sommet, intrigués par cette affluence humaine, cèdent leurs places le temps d’un pèlerinage. Après avoir foulé le sommet du rocher, formulés les vœux, place au déjeuner servi à tous dans des jefna (grands plats en terre cuites), dans une ambiance festive et surtout conviviale. Par groupuscules, repus, satisfaits et surtout avec beaucoup d’espérance, les pèlerins refont le chemin inverse non sans regret de quitter ce lieu. Ils font tous la promesse de revenir l’année suivante, et si les vœux sont exaucés, avec beaucoup de dons.
Si ce rassemblement autour d’un mythe, qu’on peut considérer comme le plus important d’Algérie a résisté à des siècles, c’est grâce aux dons des pèlerins qui affluent de toute l’Algérie, de France et d’ailleurs. Plus d’un milliard de centimes sont réunis chaque année. Une partie bien sûr couvre les frais d’organisation du pèlerinage, l’autre est versée aux associations des trois villages pour les travaux d’utilité publique, qui permettent par la même d’employer des dizaines de jeunes. Le seul hic pour beaucoup est son appellation, qui a une connotation religieuse. Il est peut-être temps de songer à la rebaptisation d’Azru n’Thor. D’autant plus qu’il paraîtrait que des islamistes dans le cercle du pouvoir, chercheraient à s’accaparer de cet événement populaire pour l’utiliser à d’autres fins. Il n’y a pas de fumée sans feu, car des personnes auraient aperçu Belkhadem visiter le Rocher et son mausolée. On aurait aussi vu des personnalités du sérail déchues du pouvoir, qui seraient venues solliciter la bénédiction du Rocher pour rebondir.
Pour en revenir à la dénomination, pourquoi pas un nom cent pour cent berbère « Azru Uzal » (traduit le rocher du zénith). Il en serait de même pour l’autre rocher du nom d’Azru Laasar qui fait référence à la prière du milieu de l’après midi, la 3ème de la journée, et qui pourrait devenir « Azru n’Tazwit ou n’Tmedith» (le rocher du milieu de l’après midi).
Par Mus